vendredi 26 juillet 2013

L'Ambien.



Enfin, ils sont venus et en nombre..



Il y a bien longtemps déjà que  nos clans se sont installés des deux côtés de Samara. Si ces terres marécageuses sont parfois difficiles à travailler, nous y avons mis du cœur. Nous les avons amendées, nous les avons marnées. A la sueur de nos fronts, nous y avons fait souche.De mauvaises langues venues du sud disent, qu’il s’agissait là de terres Armoricaines et qu’à ce titre, nous serions des intrus ici. C’est faux ! 

Avant les nôtres, personne n’avait honoré ce pays. L’Armoricain n’y avait posé que quelques comptoirs afin de s’ouvrir au commerce avec la Bretagne. Tout au plus, y  existait t’il quelques  hameaux de trappeurs de loutres ou de chasseurs de canards. Qui peut un instant penser que ces gens là, aient pu honorer comme il se doit Matres Samarae ? Avant nous, ici il n’y avait rien.


Lorsque nous y sommes venus, ce pays était désert et ce n’est qu’en découvrant la bonne fortune de nos villages naissants que l’Armoricain s’est soudain senti des envies  revendicatrices. Ils ont alors  installé devant nous de pauvres cahutes. Le seul but étant pour eux alors, d’affirmer leur droit sur ce sol que jusqu’à présent, ils avaient délaissé.Les choses auraient pu en rester ainsi,  car nous nous n’étions pas belliqueux. Même si depuis quelques années déjà, nous subissions leurs rapines. (Il faut dire que  peu doués pour l’agriculture, l’Armoricain   maraudait souvent autour  de nos villages). Les choses auraient pu en rester là, si les voleurs de récoltes ne s’étaient pas transformés l’an dernier en pillards. A l’époque qui suivit les moissons de Lug, lorsque le temps est au partage, bon nombre de nos villages situés les plus au sud furent attaqués et des nôtres furent massacrés.
Une année s’est écoulée depuis. Une triste année en réalité, mais qu’importe, ils sont venus. Ils sont venus en nombre et nous aussi sommes là et moi aussi je suis là et tant pis si mon cœur s’emballe à tout rompre, que mes jambes tremblent et que mes mains se serrent sur la hampe de ma lance.
Respirer, garder son calme ! Teutatès est dessus nos têtes, il nous regarde ! Il me regarde et moi je suis là, frémissant comme une pucelle, quelle honte !
Il est temps des provocations entre les deux camps. Comme si les mots avaient une chance encore d’éviter l’affrontement. Sur toute la ligne, ici et là-bas,  de fiers guerriers s’avancent et  se provoquent. Difficile d’entendre ce qui se dit plus bas avec le vacarme ambiant. Les épées claquent sur les boucliers. En face de moi, un Armoricain gigantesque rit de toute sa mâchoire de loup.  Il est terrifiant.
Ici, c’est le gros AbroBroccos  qui sort  de nos rangs. Abus de cervoise ? Le potier se sent pousser des ailes.
-«  Mon nom est AbroBroccos ! (Blaireau courageux), Toi là bas, le grand rouquin ! Regarde moi bien !  Car je suis le dernier visage que tu verras avant de crever. Je te trouerais la panse et te regarderait te vider de ta bouillasse. Je clouerais ta tête à la porte de ma maison ! »


Nous pouffons ! Nos boucliers claquent.


Mais l’autre en face fait front et lui répond.
-« Broccos, Blaireau obèse ! Je porte  déjà sur les épaules la peau de ta mère !  Voit comme elle me sied bien ! Avec la tienne, celle qui pend sur  ton ventre flasque, j’offrirais une couverture  pour l’hiver à toute ma marmaille ! »
Eux ne pouffent pas. Ils rient  de bon cœur et c’est tintamarre de boucliers!
C’est au tour d’un fin « bretteur de mots » Armoricain d’entrer en scène.
-«  Je suis AdloLuernos (beau renard) ! Regardez moi putains de Cimbres ! Vous puez tant la merde que les vents nous annonçaient votre venue depuis dix jours. Puisque vous avez franchi Samara, pourquoi ne pas en avoir profité pour vous laver ? Devrons nous baigner vos carcasses avant de les offrir aux Dieux ou simplement les donner à bouffer aux porcs ?»
C’est mon ami, CaletoCãno (roseau vaillant) qui lui rétorque.
-« Tu es plus joli que beau le renard ! Mais j’ai sentiment que tu t’es trompé d’endroit. Malgré ton discours ordurier, on te voit  tous onduler du croupion derrière ta lance. Sache qu’ici, ce sera  un champ de bataille ! Pas l’endroit où  tu pourras te vendre comme giton ! »
Nous rions à gorges déployées ! le tintamarre des bouclier monte encore d’un cran !
Mais est-ce une malédiction ? Car c’est un idiot qui s’avance de par chez nous…
-« Je suis LivoMoccos (sanglier splendide) ! Je vous chie dessus ! »
Nous attendons, espérant une saillie plus pertinente. Mais l’animal reste là, satisfait…
-« Ferme ta gueule, porcelet ! Tu ressembles à une des couilles de Dagodeuos ! Sauf que  tu es  plus rose et moins  poilu ! »
L’ensemble de leurs rangs éclate de rire. Comme si Uentos avait soufflé la réplique dans chacune de leurs oreilles. Pourtant avec ce vacarme, la plupart n’auraient dû rien entendre...C'est mauvais signe. Ils rient, ils se gaussent de nous et ils ont raison de le faire.
L’inquiétude doit transparaître sur mon visage, car CaletoCãno me dit :
-«Ne sois pas inquiet, ami. Ils rient parce que l’homme à côté d’eux rit et rien de plus. Ils rient comme nous rions nous, lorsque d’un échange là bas vers l’est, les nôtres deviennent tonitruants. Ils rient pour le groupe, sans savoir pourquoi. Sinon que c'est le temps du rire.»
-« J’en ai bien conscience, CaletoCãno. Mais je me disais juste que s'il ne s’agit que d’un combat de mots. Alors LivoMoccos nous a  déjà perdu… 
As-tu vu combien ils sont nombreux  en face? »


Mon ami sourit.
-« Moccos est un con. Il va crever ce matin et personne ne se souviendra de son nom.

Mais tu as  raison. Ils sont venus nombreux, c’est chose certaine… Mais faisons fi de leurs fiers à bras qui rivalisent d’idioties avec les nôtres.   
Regarde les ! La plupart ne sont que de pauvres paysans. 
Regarde comment ils sont serrés les uns contre les autres… 
Pour la plupart, ce ne sont pas des guerriers. Ce sont des  vieux, pire encore, ce sont des enfants… Ils sont apeurés, bien plus que nous ne le sommes toi et moi. 
Regarde celui là, juste à côté du grand rouquin que brancardait Braccos. Il a à peine dix années de vie, que déjà il  sait qu'il va mourir.»
Mon ami a raison. C’est un tout petit garçon qui se trouve au côté du « grand rouge » et il tremble, bien plus encore que moi, je ne tremble. Il  a peur et c’est bien normal, car plus qu’aucun de nous tous, il ne devrait pas être ici. Il a peur au point de souiller ses braies. 
Sont ils a ce point désespérés pour mettre à la ligne de petits enfants ?
Je les regarde tous, avec attention. Sinon quelques exaltés qui me feraient plus rire, que frémir s’ils appartenaient à mon propre camps. Ce  sont de pauvres hères, ils le sont plus que moi. 
Si je n’ai pour me défendre qu’une lance, la plupart d’entre eux ont des fourches ou des faux.  Paysan que je suis, je sais qu’une fourche n’est pas faite pour être maniée sur un champ de bataille. Ils ne sont que des paysans, des enfants, des vieillards…
CaletoCãno se tourne vers moi et il sourit.
-« Je porte le bouclier à gauche  et l’épée à droite, mon ami. Toi, les Dieux t’ont fait la grâce d’être gauche. Alors, marche avant moi ! Car mon épaule qui supporte le bouclier ne faiblira pas, à moins que je ne meure, bien sur. Je trancherais de  l’Armoricain par la droite. Il ne tient dès lors qu’à toi de marcher dans mon pas sous notre protection et de piquer par la gauche, ou par  le dessus. Suis moi et ainsi  nous irons jusqu’en Grèce ! »
Mais déjà la clameur s’élève. Les Carnyx  annoncent le temps du combat.  Les armes claquent sur les boucliers !  Devant moi, les Armoricains se serrent un peu plus les uns contre les autres.
-«  Me suivras tu ? »  Me demande CaletoCãno.
Je remplis mes poumons d'air et je réponds:
-« Jusqu’en Grèce ! »



Mais déjà nous fonçons !

-« Regarde moi Teutatès ! Regarde moi !!! »


2 commentaires:

  1. Mes vieux os tremblent et mon coeur bat la chamade à l'évocation de ces combats. J'oublie mon âge et dans mon sang coule une nouvelle vigueur, qu'on m'apporte mon bouclier et mon épée ! ce soir Bardosenos est prêt au combat ;)

    RépondreSupprimer
  2. Le bref commentaire de Bardosenos est à la hauteur de votre texte sur cet épique avant goût de bataille! (et à mon avis il suffit).
    La tension progressive est palpable, quelques quolibets du genre "la peau de ta mère" (me) font frémir à chaque lecture, et dois-je dire que pourtant j'apprécie les provocations sonores sur les boucliers?... Il faut dire que depuis un an je suis à bonne école (rire)...J'apprécie l'humanité qui se fait jour peu à peu dans le narrateur, et j'aimerais qu'il emmène l'enfant de la tribu adverse loin sous un arbre...quitte à passer pour un traitre vis à vis de sa tribu, et un fou pour ses ennemis (tout en sachant que dans la réalité ce ne pouvait être ainsi). Donc un très beau texte qui ne peut laisser indifférent(e), car on s'y croirait (et un commentaire qui peut se laisser oublier). Betua

    RépondreSupprimer