lundi 4 novembre 2013

Poème Barbare

Une nuit claire, un vent glacé. La neige est rouge.

Mille braves sont là qui dorment sans tombeaux,

l'épée au poing, les yeux hagards. Pas un ne bouge.

Au−dessus tourne et crie un vol de noirs corbeaux.



La lune froide verse au loin sa pâle flamme.

Hialmar se soulève entre les morts sanglants,

appuyé des deux mains au tronçon de sa lame.

La pourpre du combat ruisselle de ses flancs.



−holà !  Quelqu'un a−t−il encore un peu d' haleine,

parmi tant de joyeux et robustes garçons

qui, ce matin, riaient et chantaient à voix pleine

comme des merles dans l' épaisseur des buissons ?



Tous sont muets. Mon casque est rompu, mon armure

est trouée, et la hache a fait sauter ses clous.

Mes yeux saignent. J'entends un immense murmure

pareil aux hurlements de la mer ou des loups.



Viens par ici, corbeau, mon brave mangeur d' hommes !

Ouvre−moi la poitrine avec ton bec de fer.

Tu nous retrouveras demain tels que nous sommes.

Porte mon coeur tout chaud à la fille d'Ylmer.



Dans Upsal, où les Jarls boivent la bonne bière,

et chantent, en heurtant les cruches d' or, en chœur,

à tire d' aile vole, ô rôdeur de bruyère !

Cherche ma fiancée et porte−lui mon coeur.



Au sommet de la tour que hantent les corneilles

tu la verras debout, blanche, aux longs cheveux noirs.

Deux anneaux d' argent fin lui pendent aux oreilles,

et ses yeux sont plus clairs que l' astre des beaux soirs.



Va, sombre messager, dis−lui bien que je l' aime,

et que voici mon coeur. Elle reconnaîtra

qu' il est rouge et solide et non tremblant et blême ;

et la fille d'Ylmer, corbeau, te sourira !



Moi, je meurs. Mon esprit coule par vingt blessures.

J' ai fait mon temps. Buvez, ô loups, mon sang vermeil.

Jeune, brave, riant, libre et sans flétrissures,

je vais m'asseoir parmi les dieux, dans le soleil ! 

Charles Marie René Leconte de L'Isle 1864

1 commentaire:

  1. Bien loin du seul poème, tout en sérénité brûlante, que je connais de lui (honte sur moi!):

    "Midi, Roi des étés, épandu sur la plaine,
    Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.
    Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine ;
    La Terre est assoupie en sa robe de feu..."

    Et c'est fou ce que la lecture d'un poème peut avoir comme conséquence: de longues -et intéressantes- minutes à ..."traquer" Hialmar, pour en savoir plus...

    Charles ..., un poète né sous le soleil de la Réunion (oui oui,l'île Bourbon, sûr que ça vous plaît mieux dit ainsi) et qui se fait le chantre de héros scandinaves, et même islandais semble-t-il? Le chaud qui souffle le froid...

    Un beau texte, épique et sombre, peuplé de noirs animaux, et comme hanté par les héros du Nord.
    Ce Hialmar qui meurt semble curieusement vivant et présent...

    Merci du partage!
    Betua





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