dimanche 1 mars 2015

Je rentre chez moi...

Aujourd’hui, Rome, telle une putain fardée à la fin de la nuit, embaume tout autant le parfum que la merde. Bien que des milliers d’entre nous aient des jours durant, lessivé ses murs et ramassé les immondices qui souillaient ses rues. Elle continue de puer, comme puent les latrines où ses habitants aiment tant traîner et lier des amitiés.
Aujourd’hui la « ville catin » a revêtu ses plus beaux atours. Elle fête son maître. Elle fête le triomphe de l’ignoble salopard.
Ce matin, j’ai quitté la maison du maître, j’ai pris mon baluchon, mon petit « cochon de guerre » en bronze, ma couverture, ma gourde et mon couteau et j’ai volé un morceau de pain et du fromage. Ce soir, je ne rentrerai pas.



La foule en liesse est venue nombreuse, mais en jouant un peu des coudes, j’ai réussi à me trouver une place proche de l’accès au temple de Jupiter Capitolin. Les sonneurs de trompes et les joueurs de flûtes ont été les premiers à accéder à voie sacrée. On les avait entendu arriver de loin. Ils sont suivis d’une troupe de vétérans et de « méritants », vêtus de blanc comme des officiels. J’imagine que bon nombre d’entre eux sont des bâtards de la X ème légion, génocidaires d’Avaricon, d’Alésia et d 'Uxellodunon. Ils ont beau bomber le torse et sourire de leurs bouches édentées. Par tous les Dieux, qu’ils sont laids ! Gras comme des oies, huileux comme des côtes de porc. Moches comme sont moches les sénateurs de Rome. Pourtant le peuple les acclame. Il fait pleuvoir sur eux des pétales de fleurs. Ils glorifient les assassins de vieillards, de femmes et d’enfants.
S’ensuivent des dizaines de chariots contenant le butin, les enseignes et les trophées. Si certains sont décorés aux couleurs orientales, moi, dans ce capharnaüm je ne vois que ceux qui transportent les trésors de Celtie. L’or, l’argent et les pierreries dérobés dans les temples de nos Dieux.
Parmi les enseignes exhibées en trophée, je reconnais le « Moccos de guerre », fierté de ma tribu. Alors mon cœur se serre…

Après un nouvel ensemble de musiciens, viennent les animaux. D’abord des lions, des tigres des girafes et d’étranges cervidés que je ne connais pas. Parmi eux sont enchaînés des hommes et des femmes sauvages.
Lorsque paraissent les éléphants, la foule cesse de respirer.
Mais je n’ai cure des monstres, car viennent les animaux de mon pays. Un Orus énorme, suivi d’un ours bonhomme, tenu en laisse par un gnome hilare. L’ Artos est gauche et un peu apeuré, il chemine en balançant ses fesses, ne comprenant pas pourquoi la foule le hue et lui jette des cailloux.
Un gros chariot contenant dessus des cages de fer enfermant des Sangliers des Gaules. Les Moccos sont comme fous. Ils chargent contre les barreaux et s’ouvrent dessus leurs crânes. Ils meurent ainsi comme des guerriers glorieux.
Parmi les bêtes de mon pays, ils exhibent aussi de belles filles de Celtie. Malgré la peur que je devine dans leurs yeux, elles sont fières et sous les huées et les insultes, elles se tiennent et marchent droit.
Mon cœur est déchiré…

Quelques musiciens encore et c’est le temps des prisonniers de guerre. D’abord viennent les rois et reines nègres. Ils sont vêtus de tenues exotiques, de plumes d’autruches et de feuilles de palmiers. Ils sont exhibés en famille et autour d’eux, des dizaines de macaques facétieux amusent, par leurs grimaces et leurs cabrioles le peuple de Rome. Ce ne sont que rires et applaudissements.
Mais soudain les tambours de guerre résonnent. Le défilé se fait plus martial. Les cris de joie s’éteignent et la foule retient son souffle. Une cohorte de soldats sans armes, ni cuirasses fait son apparition. Ils sont martiaux et marchent au pas. Ils précédent un énorme chariot rustique, tiré par quatre taureaux blancs sacrificiels. Alors la foule les salue et hurle son allégresse.
-« Vainqueurs des Gaules ! Tonnerres ! Feux ! »

C’est alors que je le vois. Que les Dieux me pardonnent, car l’espace d’un instant, je ne le reconnais pas. Il est là devant moi, terriblement affaibli, les poignets au carcan, il se tient avec difficulté sur ses jambes. Après six années de captivité, il est méconnaissable. Pour « le spectacle », ils l’ont affublé d’un costume ridicule. Ils ont posé sur sa tête un étrange casque de bronze en forme de cône agrémenté de paragnathides énormes et de plumes de faisans. Sur ses épaules, ils ont jeté une lourde cape en peau d’ours et de loup. A son cou, pendent un torque cérémonial énorme et un collier en dents d’ours, à ses bras des colliers dorés de femmes. A sa ceinture ils ont accroché un glaive de bois…
J’ai grand mal à retrouver le beau jeune homme qu’il était jadis. Six années ici l’ont transformé en « presque vieillard ». Ses cheveux sont longs et sales, quelques mèches à ses tempes ont été tressées. Il porte désormais une longue barbe sombre et mal taillée. Quelle tristesse, lui qui était si fier de son visage glabre…
Accroché à son chariot, il chemine sous les insultes et les crachats. Mais son visage se tourne vers moi. Alors je croise son regard sombre de montagnard Arverne. Je retrouve le grand roi des Guerriers et mon cœur s’arrête de battre.
Les privations et la maltraitance ne sont pas parvenus à chasser son âme. Je le regarde, il me regarde et une lumière se fait dans ses yeux. Je n’aurai pas l’audace de dire qu’il me reconnaît, car je ne suis rien qu’un modeste client libre d’un bon seigneur, qui perdit sa liberté des murs d’Alésia. Mais à cet instant, j’aime à croire qu’il voit au moins en moi, un ami et qu’il sait qu’il n’est pas seul…

Mais le convoi continue son chemin. J’ai beau jouer des coudes, aux abords du temple de Jupiter, la foule est trop compacte. Je ne parviens plus à me frayer chemin et puis… J’ai de la pluie plein les yeux.
Alors je rebrousse chemin. Je ne vois même pas le salopard passer sur son quadrige aux chevaux blanc. Bélénos est couchant dans le ciel. Je lui tourne le dos et je regarde vers le nord. Ce soir, je ne rentre pas chez le maître. Ce soir, je prends la route vers Celtie.
Ce soir, je rentre chez moi...

Un Celte à Rome.





 


1 commentaire:

  1. Ecrit un 1er mars.... de quoi faire faire des couacs aux trompettes de mars de la Légion Vlll Augusta (sourire) même si par ailleurs ces Romains-ci sont plus tardifs.
    Un texte prenant, d'autant plus vivant qu'il est raconté au présent, ce qui nous fait partager le ressenti de ce Celte qui va quitter Rome.
    Merci à vous de prendre ainsi la défense du héros de mon Arvernie.
    B

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